Rencontre avec Franck Martini, « coach global », sur le thème de la préparation mentale

Christophe FRANCK - 2016-05-12

Franck Martini, entraineur et préparateur de terrain reconnu, est spécialisé dans la préparation des sportifs de haut niveau de nombreuses disciplines. Il nous apporte son éclairage sans filtre sur le rôle du préparateur mental.

Doit-on parler de préparation psychologique ou de préparation mentale dans le domaine sportif. Ya t’il une différence et si oui quelle est-elle ?

Franck Martini : Je ne vais parler ici que de haut niveau, car ça m’intéresse particulièrement et parce qu’à des niveaux moindres, il s’agit davantage de psychothérapie.
Franck MartiniJe vais donc être direct : en sport de haut niveau, il n’y a pas de préparation mentale ou psychologique ! Il n’y a que de la préparation ! Point. Nous sommes des êtres humains, pas des machines, ni des puzzles, et dans l’humain, tout est dans tout ! Dans la réalité du vécu absolument RIEN n’est découpé. Penser que l’on peut se préparer à une échéance en séparant le physique, le cardio, le musculaire, le mental, l’affectif, le social… est une vue de l’esprit. C’est une déformation qui résulte d’un trop grand intérêt portée à la recherche. Pourquoi ? Parce que le chercheur est affublé d’une aura et d’une reconnaissance scientifique que l’on n’accorde pas aux artisans du terrain. Et particulièrement en France… C’est lié à une prédominance artificielle du scientifique sur tous les autres domaines. Aussi, on préfère aller chercher dans un article ou un livre une solution écrite car elle est auréolée d’une justification implicite. Pourquoi donc suggère-t-on à un moment de développer une préparation mentale ou psychologique pour un sportif ? Et bien parce que le mal est déjà fait ! Qu’il est déjà trop tard, car le « découpage » a déjà été subit par le sportif. Ou bien par la faute de son entourage qui a segmenté le contenu de l’entraînement, ou par son staff qui a trop mis en valeur certains aspects et/ou en a éludé d’autres, ou encore du fait de sa propre responsabilité. Dans les sports de combat par exemple (mais c’est valable pour bien d’autres sports), afin de ne pas affronter la rudesse de l’engagement, certains s’adonnent par trop à la préparation physique exclusive, pensant qu’elle permettra de combler l’engagement affectif impératif pour réussir dans l’action compétitive du duel.

Mais ce n’est jamais le cas. Ça n’existe pas ! Tu t’engages en combat avec ton âme. Et l’âme du combattant ne se travaille pas en bougeant les muscles mais en s’engageant, en prenant des risques, en restant lucide en repoussant ses limites, en répétant malgré la douleur et les erreurs, en croyant au-delà du raisonnable en ses chances et en faisant tout pour parvenir à son but. Comment cela peut-être possible ? Il faut construire son rêve et enfiler ensuite l’habit que l’on a rêvé. Etre celui que l’on rêvait d’être… Là tu constates des métamorphoses de personnalité. Si tu ne mets pas en jeu tes tripes, tu ne peux pas réussir dans le sport de haut niveau. C’est impossible.
Ceux qui se tournent vers la préparation mentale sont ceux qui ont forcément une lacune à ce niveau. Cela ne fait aucun doute pour moi. Ou en tant que coach, ou en tant que sportif. Ce n’est pas rédhibitoire, mais il faut alors aller chercher dans les tripes d’où vient le mal. Beaucoup réfléchir, analyser, parler et chercher à comprendre pour savoir comment en guérir…

Penses-tu que la préparation psychologique/mentale est une affaire de spécialistes ou bien que ce rôle doit être rempli par l'entraineur ?

Il ne s’agit pas de préparation mentale, il s’agit de bouclages de motivation profonde. Pour cela, il faut chercher le déclencheur du travail profond sur la personnalité. Tout est possible. Une lecture, une phrase, un regard… tout peut concourir à ça. J’ai beaucoup travaillé sur moi, puis sur les autres et je défends aujourd’hui une approche globale, qui synthétise tout, en fonction des caractéristiques de la personne et du contexte dans lequel elle évolue vers son but avoué et vers les autres et en évitant certains… Je qualifie pompeusement mon travail de « Coach Global© » ; un concept que j’ai créé pour définir en peu de mots quelqu’un qui préfère tout gérer, de l’alimentation à la technique. Quand tu aides quelqu’un qui a des difficultés psychologiques, il te faut, en peu de temps, réaliser le parcours qui aurait du être emprunté longtemps avant. C’est forcément un tour de force. Mais ce n’est pas obligatoirement une affaire de spécialistes : certains entraîneurs fonctionnent « à l’ancienne » et sont parfaitement capables d’emmener leurs combattants au ring bien préparés, sans entrer malgré tout dans des procédures scientifiques ou ésotériques. Ils ont intégré avec l’expérience et le bon sens des savoirs très fins et importants qu’il est très difficile de formaliser et de transmettre. Existe-il un secret alors ? Oui, il faut d’abord aimer beaucoup les autres et être passionné par la progression de l’humain… C’est l’essentiel. Quelqu’un qui a ça, devient forcément un bon. Même s’il reste dans l’ombre. Et il y en a. Tu sais que tu es dans le vrai lorsque tu te trouves sur cette longue route avec ton élève, que tu es transcendé, dynamisé, et que se déroulent au loin des perspectives qui te transportent.
Il y a des hommes qui dynamisent plus que les autres ; je poursuis actuellement un travail de thèse sur ce thème. Robert Paturel, ancien du RAID et ex sportif de haut niveau (boxe française) est un de ces hommes par exemple. Tu sens que le bonhomme est connecté avec la dynamique du monde : c’est le genre de ceux que tu peux suivre jusqu’à la mort. Pourquoi ? Parce juste une présence comme la sienne peut tout changer. S’agit-il aussi de préparation mentale ? C’est un tout, on le voit bien. Ce que tu es et ce que tu transmets transforme l’autre. Comment ça se passe ? C’est très complexe à expliquer rapidement ici, mais c’est réel. C’est une combinaison de relations au sein de modèles ancestraux et claniques, de tradition, de projections, de filiation etc. Il te connecte avec des valeurs qui te tirent vers le haut et c’est une étape fondamentale de la construction psychologique du combattant. Tout le monde sait que l’on n’inspire pas le respect et la reconnaissance par hasard…

La préparation mentale c’est plutôt un travail de longue haleine ou la recherche d’un déclic ?

C’est un travail de longue haleine à réaliser notamment pour les individus qui sont cérébraux et très intelligents ou pour les gens plutôt fragiles vis à vis du regard de l’autre, ou encore dans le rapport de force et dans la douleur. D’autres n’en n’ont pas spécialement besoin car ils ont développé tout au long de leur maturation un ego particulier qui leur permet de rester au contact de la réalité : ils ne rêvent pas, ils font ce qu’ils veulent faire et ce qu’ils pensent être capables de faire. Ils ne se posent pas de questions psychologiques : ils sont là entièrement dans l’action et rien ne paraît entraver leur volonté. Ils cherchent à mettre en place ce qui pourra les faire avancer le plus logiquement. Avec eux c’est assez simple et le technico-tactique sera la cible la plus volumineuse à atteindre. Un autre obstacle que tu peux rencontrer en tant que coach est celui qui émerge à un moment où le combattant commence à être limité par sa propre structure de pensée, de ressenti, que le niveau monte haut et qu’il fallait être autrement adapté pour passer le cap. Là encore, il fallait faire un chemin avant…
Le déclic sera donc un élément déterminant chez ceux pour qui le plus gros du travail aura été fait au préalable, et pour qui, les structures mentales efficaces sont prêtes à être activées. Tout le secret consiste à faire en sorte que le désir d’atteindre le but devienne propre au sportif, que cela fasse partie de sa chair et que rien de sa motivation de vienne du dehors. « Jusqu’où es-tu prêt à aller pour réussir ? » C’est la question incontournable que je pose, les yeux dans les yeux. Non pas pour avoir une réponse, mais pour que le combattant se questionne déjà là-dessus. Lors de championnats d’Europe de VTT je suis parti avec le rider Vincent Hermance (Team Koxx) avec qui j’étais en contrat. Ma mère a eu un infarctus au même moment. Je ne suis pas allé à l’hôpital et j’ai accompagné Vincent en Allemagne. Quand un coach fait cela et qu’il te demande jusqu’où tu es prêt à aller pour réussir… ça te met forcément la pression, non ? Mais c’est la vie. Il ne faut pas laisser l’autre vouloir une chose plus que toi. C’est la règle pour réussir en sport. Après qu’il soit monté sur le podium, je me suis longtemps posé la question de savoir si c’était normal de faire ça. Et je crois bien que non. Ce n’est pas normal. Pour devenir un athlète de haut niveau il ne faut pas être normal, mais il ne faut pas attendre non plus de la normalité d’un coach de haut niveau : c’est la même chose. On fréquente un imaginaire qui distord le monde… On est dans le monde parce que l’on ressent plus fort certains aspects, mais on est aussi hors du monde car on se bat pour des choses qui peuvent apparaitre dérisoires aux autres. Tout dépend de la signification que tu accordes aux choses et aux actes. Tout part du sens. La préparation mentale, si on peut parler d’elle comme cela, consiste à construire avec l’athlète une signification du monde qui soit compatible avec ce qu’il vit, ce qu’il espère et ce qu’il est capable de faire pour accéder au but, au plus profond de lui…

Certains sportifs préparant une échéance importante semblent manquer de motivation. Comment comprendre cela ? est-ce vraiment un manque de motivation ou cela cache-t-il un autre problème ?

Christophe Tendil (champion de boxe pieds-poings et boxe anglaise) qui a été mon adversaire sur le ring et qui est un grand ami aujourd’hui se plaît à dire : « On boxe sur un ring comme on est dans la vie ! » Si c’est ton objectif, si tu veux gagner, le sport de haut niveau doit s’inscrire dans ta chair pour que ta chair s’inscrive dans le sport. De gré ou de force. Sinon, il faut laisser la place. Lorsque j’ai entraîné des toreros, je leur disais : « Maestro, tu vas rentrer dans l’arène avec l’habit de lumière pour combattre un taureau. Et le taureau va chercher à défendre sa vie par tous les moyens. Es-tu prêt à mourir pour cela ? Si tu es prêt, fais-le. Si tu n’es pas prêt, ne te mens surtout pas. Repose cette cape et cette épée et rentre chez toi. Les tiens ont besoin de toi. » Le sport de haut niveau touche à la folie je pense. Sais-tu ce que dit José Tomàs, le plus grand torero actuel ? « Lorsque je vais aux arènes, je laisse mon corps à l’hôtel… » Quand tu atteins ce niveau de motivation où le but implique une capacité de sacrifice accepté, tout est possible. Le monde s’ouvre à toi. Mais un autre se ferme aussi. Etre sportif de haut niveau c’est être égoïste. Forcément. Comment ton entourage vit et gère cela ? Comment le sportif vit et gère cela ? La motivation doit être intrinsèque (personnelle) mais on ne vit pas seul dans un monde qui te fait des cadeaux. On ne peut pas poser de diagnostic rapidement concernant un manque supposé de motivation ; il faut analyser le combattant et son contexte de vie, ses aspirations et les aspirations de ceux qui partagent sa vie. C’est très compliqué. C’est pour cela qu’il vaut mieux former sur le long terme et construire tout ce dont tu as besoin avec lui pour gérer une carrière et l’après-carrière. Car c’est bien beau de former un champion, mais si tu lui fermes les portes de son avenir, c’est moins acceptable… Entraîner s’est aussi ouvrir des perspectives à l'athlète, parce que la vie ne s’arrête pas après le ring ou le terrain.

Quelles sont les compétences et formations nécessaires et obligatoires pour être préparateur mental : sportif, entraineur, psychologue ? Personnellement comment et quand es-tu devenu préparateur mental ?

Il faut, comme partout, s’engager personnellement et chercher à apprendre à chaque instant en faisant des va-et-vient entre ce que l’on apprend de la théorie et ce que l’on apprend du terrain. Et ça sur un temps long, qui se compte en années d’expérience baignées dans l’induction-déduction ! Et surtout avoir du cran et du courage pour arrêter de penser que la solution vient d’ailleurs. Il faut juste mettre les mains dans le cambouis avec du bon sens. C’est tout. Alors que convient-il de faire ? Il faut être curieux de tout et devenir une véritable éponge ! Et ça, ça ne s’apprend pas. Tu en as envie ou tu n’en as pas envie. Ca requiert un cerveau actif qui doit avoir la volonté de comprendre, de se remplir et d’être transformé par tout ce qui à un rapport avec ce que tu fais. C’est ce que j’appelle l’« apprentissage fractal » : il faut opérer des bouclages sur les problèmes qui te sont non résolus encore. Les bouclages s’opèrent d’abord par l’ouverture constante de l’esprit à tout ce qui a un rapport avec le problème auquel tu réfléchis. En effet, la récurrence d’éléments répétitifs, même dans des circonstances et des milieux différents peut opérer un insight(découverte soudaine de la solution à un problème sans passer par une série d'essais-erreurs progressifs d’apprentissage ou de compréhension) : à un moment, il y a une chose anodine qui va te faire comprendre l’ensemble. Il y a un truc sur lequel tu percutes enfin et qui répond à un souci que tu avais ! Comment ? A la lecture, à l’écoute, à la sensation ou à l’observation. A la mise en relation. Avoir tous ses sens en éveil pour absorber, faire des liens et comprendre. Faire des liens !

Franck Martini en compagnie de Marius, la légende des Forces spéciales. "Inspirons-nous des autres, ceux qui ont réussi, quand nous sommes sur le terrain"On a tout ce qu’il faut dans le crâne ! Personne n’a le savoir absolu ! Comme personne ne peut se targuer d’écrire « une bible de la préparation physique » ! Ici et là apparaissent des stages où en trois ou quatre jours on apprend à entraîner, à préparer quelqu’un, à le motiver psychologiquement… c’est une ineptie. La formation sportive est devenue un business. Alors inspirons-nous des actes de ceux qui ont réussi, bien plus que des mots de ceux qui n’ont rien fait. Je bosse avec Marius, une légende des Forces spéciales françaises que j’ai suivi sur le terrain en stage, et je t’assure que tout le baratin sur la préparation mentale, il ne faut pas lui en parler. Lui qui a été balancé de nuit en terrain ennemi sans savoir jusqu’au dernier moment dans quel pays il était et pour quelle raison…
Inspirons-nous les uns des autres quand nous sommes sur le terrain. Surtout ceux qui viennent de la base. Du peuple. Echangeons. Critiquons-même ! N’ayons pas honte de critiquer quand c’est fait intelligemment ! C’est sain. Il ne faut pas croire les béni-oui-oui qui clament qu’il faut être humble et ne rien dire sur ce que font les autres. C’est idiot. On est fait pour juger : c’est ce qui a défini notre aptitude à s’adapter ! Et c’est fondé moralement. Fiez-vous à votre instinct et confrontez-le à des arguments ! Débattez ! Regardez vivre ceux qui sont bons dans leur domaine ! Inspirez-vous de l’amour du travail bien fait, de l’abnégation, de la rigueur, de l’intelligence pratique et de la capacité à dynamiser les hommes.
On en revient toujours là. Tu es bon en tant que coach quand tu es connecté sur l’identité de celui que tu aides. J’ai accumulé malgré tout des diplômes parce qu’en France on ne te respecte que quand tu en as et parce que j’étais un mauvais élève ; afin de régler un contentieux avec le savoir formel. Ca inspire le respect. Tu dis que tu es agrégé, les gens t’écoutent plus. C’est comme ça. Mais dans le fond, c’est pitoyable.

Que penses-tu de la relation entraineur-entrainé et de sa place dans le domaine psychologique. Certain(e)s athlètes de sports individuels ne veulent carrément pas disputer de rencontre sans la présence de leur entraineur. Doit-on le comprendre ou est-ce anormal ?

On y vient… Je trouve cela normal ! La construction d’un projet de haut niveau est forcément une expérience affective. C’est le fondement même de l’aventure entre l’entraîneur et le sportif. Nier cela c’est n’avoir rien compris à l’expérience humaine du haut niveau. Et à l’expérience humaine tout court ! Dénigrer la place de l’entraîneur lors des compétitions internationales est une chose négative car on ne met pas au milieu l’intérêt du sportif ; on réfléchit en termes de protocole ! C’est aussi retirer ce qui fait le plus beau moment de partage : lorsque l’on vit le bout de l’aventure, que l’on arrive au seuil, au moment de vérité, on écarte l’entraîneur et on place un type qui ne connaît que 15 à 20% de ce qui fait le sportif. Ce n’est pas regrettable, c’est une véritable ineptie ! En Savate, j’ai eu la chance de pourvoir être au bord des cordes, mais dans d’autres sports tu ne peux pas y être ! Et dans le coin, il n’y a pas des Fathi Mira (entraineur national de l'équipe de France Séniors de boxe française) dans toutes les fédérations sportives ! Même si certains entraîneurs sont des personnalités complexes et rudes, il faut prendre le risque de cela, parce que c’est une histoire de vie. Qu’elle n’appartient à personne d’autre qu’aux deux qui ont fait le chemin ensemble. Cela va au-delà du sport. C’est autre chose. Et il faut le respecter.

La préparation psychologique/mentale a-t-elle pour seul objectif l'amélioration des performances par la gestion des émotions ou doit-elle conduire à une autonomie de l’athlète dans son appréhension des échéances. Pour aller plus loin, ne devrait-on « entrainer » ce facteur chez les jeunes sportifs en formation par exemple, au même titre que la technico-tactique et les qualités physiques ?

L’entraînement c’est quoi ? C’est la meilleure gestion possible des émotions dans l’opposition aujourd’hui et maintenant, en fonction des émotions que l’on vivra dans l’opposition demain et ailleurs. C’est tout ! Et tout part de la gestion de l’émotion. Si une formation de jeunes est bien menée, il n’y aura nul besoin de se centrer sur de la préparation psychologique. Car la gestion des émotions aura été intégrée à chaque instant, dans chaque situation depuis les tous débuts, jusqu’au jour de l’opposition. C’est ce qu’a toujours fait Sot Mezzache (entraineur de légende de boxe française et d’anglaise) pour prendre un exemple parlant, s’il en est, en Savate. Lorsque l’on prépare psychologiquement quelqu’un, c’est parce qu’il y a eu une lacune dans la formation. Il ne faut pas se voiler la face. Crois-tu que les hoplites de Sparte avaient besoin de psychologues ou de sophrologues pour engager le combat ? Leur éducation les préparait tout jeune à ce qu’ils pouvaient vivre de pire plus tard. Il faut garder la même logique de formation historique dans le combat, tant qu’elle est intelligemment adaptée, émotionnellement acceptée et affectivement désirée par l’élève. Préparer quelqu’un c’est d’abord le protéger avant de lui donner les moyens de gagner. Notre cerveau possède la texture d’un avocat, il est fragile, et la boxe donne le droit d’attenter à l’intégrité de l’autre : c’est à la limite de l’acceptable humainement. Même si on l’a intégré et que l’on ne s’en rend pas bien compte... On pourrait très bien concevoir que moralement cela soit interdit. Pour cela, préparer un élève est d’abord une nécessité morale et physiologique.

Peut on imaginer un entrainement adapté en fonction des qualités psychologiques/mentales de l’athlète, sur les plans techniques, tactiques et physiques et de la planification de l’entrainement ?

Bien entendu, mais là, c’est mon job personnel. Lorsque je signe un contrat, il est spécifié que les techniques d’entraînement et les contenus de travail ne seront jamais divulgués, sauf avec mon accord. L’idée n’est pas qu’il existe des moyens d’intégration… c’est qu’il faut absolument tout intégrer ! Après, rentrer dans les détails est très complexe et personnel. J’ai partagé beaucoup de choses avec pas mal de gens. Puis j’ai retrouvé le contenu, la structure et la terminologie de ce que je proposais dans des articles, des vidéos, des formations et des documents de référence, émis par des fédérations, sans que les sources ne soient jamais citées.
Pour répondre à la question, je développe un mode de travail que j’ai appelé « micro-résilience », en référence à ceux qui, malgré de grandes difficultés dans leurs vies, sont parvenus à surmonter les obstacles. L’objectif est de vivre de difficiles contraintes construites chirurgicalement durant les entraînements en fonction de certains paramètres à faire évoluer, selon les objectifs et les caractéristiques de l’athlète. En effet, on ne peut parfois pas toujours accrocher la motivation et l’émotion à des expériences difficiles de vie qui n’ont pas existées pour certains sportifs : il faut alors les inventer, les vivre et surtout les surmonter… mais à l’entraînement ! C’est un peu la cryptie de Sparte : tu la retrouves dans tous les groupes de formation qui vivent des enjeux lourds. Ceux du RAID, du GIGN, des Forces spéciales vivent un peu les mêmes expériences…Il m’est arrivé de proposer des épreuves très dangereuses (escalade sans corde, exercice de parkour, etc. ) où le risque était très gros. Comme un rite initiatique avant de m’engager avec l’athlète. Mais c’est pensé et pesé. Ça permet de voir où on en est… et jusqu’où l’autre est prêt à aller.

Quelle est ta démarche lorsque tu prends un sportif en charge ? très méthodique ou « au feeling » en fonction de la personne et de la situation. Privilégies-tu une méthode ou une technique de préparation mentale ?

Les deux sont liées. Je construis la méthode en avançant avec l’athlète ; Il n’y a rien d’écrit à priori. Surtout pas. Mais tout est super rigoureux et le moindre aspect est justifié. Même si je sais bien entendu que je vais devoir réaliser une analyse très poussée de ses prestations : en compétition, en entraînement (afin de peser le décalage), des prises de fréquences cardiaques spécifiques, les mensurations, le poids, les vidéos décortiquées de travail, les mesures et les types de déplacements, les charges d’appuis, les sens de mouvement privilégiés, les prises d’informations, la capacité à traiter l’information en situation, les types de contractions subies, provoquées, l’alimentation, les interférences et les comportements parasites, le passé affectif, les blessures etc. Le reste s’opère avec lui et son entourage, petit à petit, en fonction de ce qui émerge des concertations. J’écoute tout, je regarde tout, je sens tout…mais je ne crois rien. Je ne force rien. Tout doit venir de l’athlète, et parfois cela prend plus de temps que pour d’autres. Chaque détail peut répondre à un problème. Il faut régler des détails en paquets, par thèmes si l’on peut. Sachant qu’un détail peut résoudre un paquet de problèmes parfois…
Mentalement, j’ai une confiance totale, absolue en ce que je fais parce qu'en amont, je suis très rigoureux sur l’analyse préalable. Malgré cela, je ne m’appuie sur aucune technique apprise formellement. L’idée générale est de ne jamais être pris en défaut sur un aspect. Quel qu’il soit. J’ai construit ma méthode autour d’une quinzaine de principes, comme un tronc commun d’où partent des ramifications ouvertes. Je ne réfléchis pas linéairement, je réfléchis en vagues extensives. Je sais que cela peut apparaitre comme une forme d’arrogance, tant certains prônent l’humilité à tout crin. Mais ce défi participe aussi à la confiance de celui qui travaille avec moi : le sportif recherche face à lui un quelqu’un qui sait ce qu’il fait et pourquoi il sait qu’il faut le faire. Et qui ne doute pas. Qui est sûr. Qui le rassure tout en le poussant dans ses retranchements. Qui démontre une efficacité par des résultats qui émergent rapidement, et ce, dans plusieurs domaines. C’est la confiance qui permet de faire sauter les verrous : si tu n’es pas sûr de tes méthodes, ou que celles-ci ne sont pas éprouvées et efficaces…ça ne traine pas. Le doute s’insinue chez l’athlète. Il est un coin de fer dans une faille du bois qui lui apparaît soudain, qui, petit à petit fera plus ou moins vite tomber l’ensemble de l’arbre sous les coups de l’expérience vécue de la compétition.
Il faut s’imprégner de l’autre. Cette forme de sensibilité qui me fait ressembler à un double de celui qui agit devant moi, j’appelle ça « l’empathie physique » : je ressens ce que l’autre est en train de faire…comme si je le faisais moi-même ! C’est très éprouvant, et à la fin des entraînements, souvent je suis complètement cuit et je vais dormir. Je ne peux rien prévoir sportivement pour moi dans ces périodes-là. Je suis vidé de toute la grinta que je peux avoir en sparring ou en grimpe. Mais c’est la qualité principale que j’ai (avec l’orgueil bien placé) : une forme de sensibilité aiguisée tout au long des années où je regardais les autres faire ce que je n’étais pas capable de faire (car je suis un vrai pur ancien cancre en sport et à l’école !).

Comment t’organises-tu pour ne pas empiéter sur les champs de responsabilités de l’entraineur. Es-tu « à coté » de ton sportif lors de ses compétitions pour le motiver et le soutenir, ainsi qu’analyser sa réussite ou son échec

Ce n’est pas possible. Absolument pas. Je suis obligé d’entrer dans le domaine de l’entraîneur si je ne le suis pas moi-même. Si je suis sur le site lors d’une compétition, je prends de la place dans les conseils. C’est clair. Je suis du type « combattant intellectuel », et je défends forcément mes points de vue technico-tactiques, je ne lâche rien, j’argumente, j’appuie. Ce n’est pas facile de m’avoir à côté surtout si on n’est pas d’accord sur le jeu ou le combat. Il y a beaucoup de savoirs à développer en temps contraint pour l’homme de coin. Moi j’aime ça, c’est mon truc. Conseiller en temps contraint j’adore ça ! J’aime être là car je sais que je peux avoir une influence sur le cours d’un combat parce que j’ai la chance de réfléchir macroscopiquement : du général au particulier.
Mais ce n’est pas une forcément toujours bonne chose car cette motivation est ancrée aussi sur le fait de se sentir une capacité à inverser les choses, à avoir du poids. Ce n’est pas toujours satisfaisant pour construire l’autonomie de l’autre. Mais c’est personnellement gratifiant par contre. A une période, j’ai eu un athlète qui m’appelait toujours après les compétitions et qui gagnait tout au niveau international… je n’ai plus osé pointer mon nez après. Par superstition…ou parce que je sentais qu’il était devenu assez mature dans sa pratique pour gérer tout ça tout seul ? Je ne sais pas. Mais ce que je sais, c’est que ça fait aussi du bien de ne pas avoir toujours dans le ventre, ce stress de la gagne…

As-tu une préparation ou un accompagnement dont tu es particulièrement satisfait ?

Toutes. Travailler avec quelqu’un t’inscrit dans sa vie et laisse une empreinte en toi. Qu’il soit sédentaire ou sportif de haut niveau. C’est magique. Comment une action, de l’attention et du temps peuvent engager une mutation espérée et attendue ? C’est une énigme fabuleuse ! Nous ne sommes que des passeurs mais qui permettent parfois de franchir un obstacle, de glisser d’une rive à une autre, plus radieuse. Tu sais, j’ai découvert la savate très tard, à 26 ans, et j’ai entraîné 6 mois après mes débuts parce que Michel Salvetti (un des plus grands arbitres et entraîneur de Savate) avait détecté des prédispositions chez moi pour enseigner. J’étais au départ grimpeur, mais je me suis blessé aux doigts à 18 ans à cause de la surmotivation et d’un surentraînement corollaire. Pour toutes ces raisons et pour d’autres, je n’ai jamais été sportif de haut niveau (aurais-je pu l’être d’ailleurs ?). Pourtant mon chemin tronqué au départ m’a apporté ensuite des satisfactions humaines fantastiques. J’ai eu la chance de vivre un très intense parcours avec ma propre femme jusqu’en équipe de France de boxe française; mais chaque personne que j’ai croisée m’a enrichi. Toujours. Le sourire d’une élève obèse capable de réaliser deux assauts sans s’arrêter reste aussi puissant dans ma mémoire que celui d’Alex Caizergues, le champion du Monde de Kitesurf avec qui j’ai collaboré lorsqu’il a explosé le record du Monde de vitesse absolu à la voile. Comment expliquer ça ? L’important c’est d’avoir du pouvoir sur les choses et de transformer ce que certains appellent « le destin » en quelque chose de meilleur, de plus beau ou de plus fort. Il y a une forme de transcendance de notre simple état. On tord le réel pour qu’il aille dans le sens que nous voulons, ensemble… Je tente aussi de contrôler mon égo qui prend assez de place, mais pour entraîner, il en faut certainement pas mal. Certains le gèrent mieux que d’autres. Pour moi ce n’est pas simple et je pense que je me vois plus grand que je ne le suis. Mais je crois aussi qu’il faut se voir plus grand pour réussir souvent. Et peut-être toujours. Beaucoup de ceux avec qui je travaille deviennent un peu comme cela. Lentement. Imperceptiblement. On change de dimension ensemble. On se rapproche des Dieux. C’est arrogant. Je le sais. Et alors ? C’est si bon !… On n’a qu’une vie, et elle passe si vite ! Le combat est la chose qui nous rattache à nos ancêtres. Il faut savourer son irrationalité. Tant que nous restons des hommes justes et droits, elle est légitime. Restons justes, vivons, savourons et partageons l’esprit du combat. Il fait renaître une fraternité rare. C’est cette rareté qui nous porte à revenir mettre les gants.
Car c’est le partage qui fait grandir.
Ensemble.
C’est ça le secret…