Confidences d'entraineurs - L’entraineur vu par lui-même
Christophe FRANCK - 2016-05-10
Jérôme Huon et Christophe Franck, entraineurs de Savate boxe française et préparateurs physiques, répondent, dans un entretien croisé, à dix questions sur leur vision du rôle d’entraineur.
A ton avis, comment un entraineur peut-il faire gagner un sportif
Christophe FRANCK : Il peut l'aider dans la préparation de l'échéance, la gestion de l'entrainement, dans les choix stratégiques et tactiques, dans le fait de mettre le sportif dans de bonnes dispositions psychologiques. Néanmoins, l'entraineur ne peut pas faire de miracle : si le sportif n'a pas le potentiel, le niveau ou la motivation nécessaire, il échouera.
Jérôme HUON : Pour moi l’entraîneur ne fait pas gagner le sportif à proprement parlé. L’athlète ou le binôme entraîneur/entraîné gagne, l’entraîneur gagne dans l’ombre quant à lui. En revanche, je considère que l’entraîneur contribue tout d’abord à la mise en place d’une relation de qualité, ceci par sa psychologie et sa faculté de s’adapter à l’athlète, dans la limite du possible. Ensuite, par sa connaissance technique du sportif, l’entraîneur doit organiser la charge afin qu’elle réponde au mieux aux exigences individuelles de l’athlète ainsi qu’à la spécificité de la performance visée. Enfin, par le biais du coaching lorsque cela est possible, après une analyse pertinente, il saura utiliser les mots, expressions, intonations, regards et consignes qui pourront accompagner le sportif dans son action, le guider vers la réussite. Pour conclure, l’entraîneur ne fait pas gagner le sportif mais il participe à la mise en place d’un contexte propice et joue le rôle de guide vers la victoire ; il contribue ainsi à la réussite du sportif.
Faut-il avoir été un sportif de haut niveau, un champion pour faire un bon entraineur ?
JH : Un ancien sportif de haut niveau ne fera pas nécessairement un bon entraîneur, ceci dit, un ancien « non sportif de haut niveau » peut très bien faire un entraîneur incompétent… Tous les cas de figure sont possibles. Je pense que l’expérience vécue du sport de haut niveau peut-être un des facteurs qui contribuera à rendre un entraîneur performant ; cependant ces facteurs peuvent être nombreux et le fait d’avoir été un champion ne constitue pas un facteur dominant ou incontournable.
CF : J'espère que ce n'est pas obligatoire [sourire, ndlr]! Je ne l'ai pas été ! Je ne crois pas que ce soit une condition ioncontournable; dans tous les sports, de très bons entraineurs n'ont pas été de grands champions ou des joueurs professionnels. Et parmi les champions qui décident d'entrainer, tous ne deviennent pas de grands entraineurs. Par contre je suis persuadé que l'entraineur doit avoir un très bon bagage technique et tactique. C'est l'essence même d'une discipline sportive la technico-technique. Ensuite il faut évidemment d'autres qualités, mais celle-ci est indispensable. Ceux qui ont été « champions » ont cette qualité, c'est certain. A eux d'avoir les compétences pour transmettre leur savoir et leur expérience. Le plus pour eux sera de pouvoir comprendre leurs sportifs pour avoir vécu des moments similaires et aussi d'avoir vu plusieurs méthodes d'entrainement avec des coachs différents.
La formation théorique est-elle indispensable ou peut-on se contenter de l'expérience acquise et d'un bon instinct ?
CF : Elle est indispensable. L'instinct seul permet à mon avis de « faire un coup » ponctuellement ; mais je ne pense pas qu'un entraineur sans bagage théorique suffisant pourra bien entrainer sur une longue période des athlètes différents. Un entraineur doit posséder des connaissances dans de multiples domaines et tout n'est pas « inné ». La pédagogie, la psychologie, la gestion de groupe, la préparation physique... sont des connaissances à acquérir. Après, l'expérience et l'instinct viendront étayer ces connaissances théoriques pour faire que l'entraineur soit un homme de terrain efficace.
JH : Je pense que la vérité est souvent dans le compromis, je crois aussi que l’entraînement sportif est la rencontre entre la science et l’art. Je suis donc convaincu que la théorie et l’expérience associée à l’instinct sont nécessaires pour l’entraîneur. Plus précisément, je dirais que l’entraîneur fera appel à ses connaissances scientifiques pour ce qui est de la structuration de son travail en amont, la mise en place de sa planification, puis, sur le terrain, le feeling, l’intuition prendront alors plus de place… Pour ce qui relève de la communication, du coaching et de la préparation mentale, les deux aspects (connaissance et instinct) devront s’articuler simultanément avec beaucoup de précision.
Comment et quand deviens-t-on entraineur ?
JH : Devenir entraîneur, c'est tout d'abord être passionné par sa discipline et l'entraînement de cette dernière au point de consacrer son travail au développement des ressources et à la recherche de performance pour autrui, le sportif. On devient donc entraîneur après avoir acquis une expertise de son sport en tant que pratiquant, voir compétiteur. Il faut tout d'abord avoir expérimenté personnellement, et souvent continuer à la faire. En parallèle, il faut acquérir des connaissances théoriques qui permettent d'accéder à la compréhension en plus de l'expérience. L'ensemble conduit à une démarche personnelle visant à être efficace. Pour ce qui est du « quand », le pratiquant deviendra entraîneur lorsqu'il accordera une priorité au développement de l'autre sur le sien. Il comprendra ensuite que son développement personnel se fera au travers des sportifs qu'il entraîne. On peut parler d'une certaine transcendance mais le coach doit le plus souvent possible rester un acteur de l'ombre, un « ninja ».
CF : Pour moi c'est venu tôt, quand je pratiquais encore finalement. Je lisais pas mal de choses, je gardais les fiches pratiques des magazines spécialisés et je notais ce que je trouvais intéressant dans les séances de mes entraineurs, quelle que soit la discipline ; j'écrivais des plans de préparation physique, je pensais à des exercices et je les testais. Puis sous l’impulsion d’une de mes professeures, j'ai passé mon premier diplôme d’entraineur [monitorat de boxe française ndlr]. J'ai alors entrainé un public loisirs d’adultes puis des ados. Je pense que c’est important d’être un éducateur sportif avant d’être un « entraineur sportif » ; ça oblige à véritablement travailler la pédagogie. Surtout avec les enfants et les adolescents ; si ce que tu proposes n’est pas adapté, la sanction est immédiate : ils te le disent et ne reviennent pas. De ces publics ont émergé des personnes avec un fort potentiel. Je les ai accompagnés dans leur progression. Là, j'ai du plancher pour acquérir les bases de l'entrainement de haut niveau : planifier, hiérarchiser, choisir, conduire les séances, etc. Ça m'a plu et je me suis aperçu que mon message ne passait pas trop mal. Les résultats ont été au rendez-vous et çà m’a motivé pour poursuivre. Mais je continu à apprendre auprès de personnes plus « calées » que moi dans leur domaine. Et je continu à chercher comment améliorer ce que je fais ou ce que j'ai fait.
Quelles sont les qualités nécessaires pour être un entraineur qui « gagne », donc qui fait gagner ?
CF : Etre psychologue, au sens « à l’écoute », dans un premier temps. C'est une qualité indispensable. Tu auras beau avoir toutes les connaissances possibles, si tu n'es pas capable de comprendre, d'écouter, de déceler les doutes de ton sportif, il n'y aura pas de communication performante avec lui. Ça ne veux pas dire qu'il faut discuter sur tout, tout expliquer pendant des heures, mais le sportif doit savoir ou tu l'emmènes, et toi tu dois être certain que vous êtes sur la même longueur d’onde. Ensuite il faut les connaissances de terrain et scientifiques comme je l’ai dit précédemment. Enfin je pense qu’il faut être exigent, avec soi même et avec ses athlètes. Ça permet de se remettre en question et de progresser.
JH : De la motivation à s'investir totalement, de l'organisation, de la méthode, de l'observation, de l'écoute, de la psychologie, la capacité de se remettre en question et de se renouveler, de la patience, un « bon » instinct... On constate que le métier d'entraîneur nécessite des qualités issues de champs très différents les uns des autres (humaines, organisationnelles...), pour moi c'est plus qu'un job, c'est un art de vivre, une culture.
As-tu une philosophie dont tu ne déroges pas ?
JH : Oui, et je l'ai évoqué précédemment : se placer au point de rencontre entre la science et l'art. Etre à la fois fidèle à une méthodologie et à des règles scientifiques en faisant appel en permanence à son feeling, son ressenti… Ces deux composantes sont opposées mais complémentaires pour moi ; c’est aussi ce qui fait la richesse et la profondeur de l’entraînement sportif.
CF : Oui : expliquer la démarche globale de la préparation et pour les séances et exercices, répéter sans rabâcher. Je crois qu'il n'y a rien de pire que de refaire faire les mêmes séances aux sportifs. Que l'objectif soit le même oui, mais la forme doit être différente pour surprendre l'athlète. Ça demande du travail. En échange je leur demande un engagement maximum. Dans les exercices et dans l'appréhension globale de la préparation.
Est-ce plus facile d'entrainer des athlètes que tu as formé ou des champions que tu récupères déjà matures et expérimentés ?
CF : J'ai eu beaucoup plus de sportifs de la première catégorie citée. Je ne sais pas si c'est plus facile dans un cas ou un autre. Avec un sportif déjà expérimenté, s’il y a un bon feeling, une confiance mutuelle et du respect pour les compétences réciproques, on va être dans le haut niveau, la recherche de résultat et c'est sûr que c'est stimulant. Avec des athlètes que l'on forme, il y a une complicité et une confiance réciproque qui se créent au fur et à mesure des années. Lorsqu'on atteint le titre visé, la joie est donc certainement multipliée. Néanmoins, une fois que ces sportifs sont devenus des champions accomplis, on peut sentir des fissures dans la relation entraineur-entrainé. Ce n'est pas anormal, l'athlète a besoin de s'émanciper. Dans ce cas, soit l’entraineur accepte « les conditions » de son athlète, soit c’est une rupture, douloureuse ou consentie. L’entraineur n’est pas « propriétaire » de son athlète, quel que soit le niveau atteint. Mais la réciproque est identique. Personnellement, je ne vis pas à travers la réussite de mes athlètes, je suis fier d’eux et encouragé dans ma vision de l’entrainement.
JH : Il y a des facilités et des difficultés dans les deux cas, et autant de difficultés et facilités que d'athlètes à entraîner. Dans la première situation, la connaissance des individus ayant empruntés un chemin tracé par l'entraîneur présente un avantage certain. L’entraînement s’inscrit dans la continuité d’un projet amorcé ensemble dès son départ. Cependant, l'affect établi peut aussi parfois entraîner une perte d'objectivité de part et d’autre, on trouve ainsi parfois l’intérêt d’un regard extérieur compétent. A l’opposé, entraîner un champion que l’on récupère déjà mature et expérimenté apporte un certain confort car l’action se caractérise par du réglage voire du travail d’orfèvre. En revanche si les méthodes des entraîneurs précédents étaient radicalement différentes, des « interférences » peuvent poser problèmes, même si le sportif évolue à haut niveau, ceci par des difficultés rencontrées par le sportif pour s’adapter aux nouvelles méthodes par exemple. LA question se pose alors : l’athlète doit-il s’adapter à l’entraîneur et sa méthode ou le contraire ? Je pense que l’athlète doit rester au centre du système.
Le rôle du coach est-il important pendant une rencontre ?
JH : Il peut l’être mais son effet peut aussi être minime en fonction de l’athlète, du contexte… Quoi qu’il en soit, l’entraîneur doit se préparer à ce que son rôle soit important : une continuité entre le travail effectué en amont et la préparation pré compétition, la cohérence du discours avec le schéma tactique, le choix des mots adapté au contexte émotionnel, le tout associé à une précision des consignes dans le contenu et la façon des faire passer les messages durant l’épreuve. C’est ainsi que le couple entraîneur/entraîné maximisera ses chances de performance.
CF : Sans aucun doute. L'avantage du coach est d'être « à l'extérieur » de l'affrontement. Ce recul permet d'avoir une vision d'ensemble de l'action que n'a pas le sportif concentré sur son adversaire et sur la tactique choisie. En boxe, à la minute de repos tu peux réajuster la tactique et remotiver ton athlète. C’est identique en sport collectif. La différence, c’est le temps de parole donc la manière de faire passer ton message. Plusieurs temps de périodes courtes en sports de combat, des temps plus longs mais moins nombreux suivant les sports collectifs. Pour d’autres sports, que je connais moins, comme le tennis, l’athlétisme, la natation et bien d’autres, le message passe par des gestes ou d’autres moyens certainement.
T’es tu déjà senti responsable de l’échec ou de la défaite d’un athlète ?
CF : Oui heureusement ! Sinon cela voudrait dire que je ne me remets pas en question. Mais le rôle de l’entraineur n’est pas d’être dans le constat « sec » du résultat. Je veux dire par là que l’échec est possible et doit être envisagé dans le sport. Sinon, il n’y aurait plus d’entraineurs ! Une échéance pour moi, c’est « analyse – décision – action – bilan ». Alors à moi de décortiquer chaque étape et de voir si j’ai fait une erreur dans l’une ou plusieurs d’entre elles.
JH : Le contraire serait une erreur. Au minimum, je dois me remettre en cause après une défaite. Dans la majorité des situations, je trouverai ma part de responsabilité. Il faut faire une analyse, un bilan de la compétition, puis déceler ce qui est de l’ordre des choix stratégiques et des situations mises en place par l’entraîneur, des consignes transmises avant et pendant la compétition (responsabilité de l’entraîneur) ; et ce qui est de l’ordre des mauvaises adaptations du sportif aux situations d’entraînement, de problèmes d’écoute, de concentration ou de gestion du stress voir d’un manque d’investissement, de travail ou de motivation (responsabilité de l’athlète). De nombreux éléments négatifs liés à la contre-performance appartiennent à la fois à l’athlète et son entraîneur (responsabilité mixte). Dans tous les cas, au-delà de l’analyse et de la régulation mise en place à l’entraînement, la communication sera la clef de la résolution des problèmes rencontrés et de la progression.
As-tu un combat ou une préparation dont tu es particulièrement fier ?
JH : Pas un combat en particulier. Je suis assez perfectionniste et malgré les belles victoires et les titres que les sportifs que j’entraîne obtiennent régulièrement, pour moi, la compétition idéale n’existe pas. Je peux dire que je suis fier de certaines de mes actions qui pour moi furent significatives : un schéma tactique efficace et bien appréhendé, des contenus de préparation physique ayant étés la clef de certaines victoires, une consigne faisant basculer le rapport de force à un moment déterminant, l’automatisation et la commande de stéréotypes ayant permis de faire la différence dans le combat, etc. Enfin, au-delà de l’entraînement sportif, la recherche de performance, les victoires et les titres je considère l’entraînement (de haut niveau ou pas) et mon action comme une voie possible vers un développement de soi, un épanouissement. J’essaye d’inculquer des valeurs à des sportifs qui sont avant tout des femmes et des hommes (respect, volonté, travail, perfectionnisme, solidarité, etc.) et de faire en sorte que les compétences acquises et développées lors du parcours sportif soient transférées dans la vie. Lorsque cela est le cas, oui je suis fier de mon humble contribution.
CF : Les rencontres ou préparations où mes athlètes ont gagné ! Plus sérieusement, je crois que je suis fier des préparations ou j’ai suivi le cycle cité dans la réponse précédente : « analyse – décision – action – bilan ». J’ai laissé le moins de place possible au hasard, je me suis engagé auprès de l’athlète, je lui ai donné des certitudes. J’ai envisagé toutes les tactiques possibles de l’adversaire, préparé mon athlète sur les plans physique, mental et technico-tactique. J’ai géré l’environnement, les sparring, l’alimentation, etc. Au-delà de çà, je suis heureux de l’après carrière des athlètes que j’ai entrainé. Parce que plus que des titres, je crois que ce sont des personnes fières de ce qu’elles ont fait et qui se sont appuyées sur leur réussite sporive pour réussir leur vie.