Souffrir pour être performant en sport
Christophe FRANCK - 2016-04-08
L’adage « il faut souffrir pour être beau » peut-il être adapté à la performance sportive en « il faut souffrir pour être bon » ? Les différentes formules utilisées par les sportifs et entraineurs le laisser penser. Du « entrainement difficile, match facile » au « no pain, no gain » en passant par le « on n’a rien sans rien », il y a une évidente relation entre l’obligation de souffrir à l’entrainement et la tant espérée performance en compétition.
L’explication de cette obligation de souffrance est à trouver dans les sources de la performance : la physiologie et la psychologie.
Physiologiquement, la base de l'entraînement physique repose sur le principe de cumul de stimulations dans le temps : c'est le processus de surcompensation. Lorsqu’une charge d'entraînement proche des capacités maximales d’une qualité physique est appliquée à l'organisme, l'état du potentiel énergétique après restauration devient supérieur à l'état initial. La répétition judicieuse et calculée de nouvelles charges permet d’augmenter le potentiel de l’athlète.
Psychologiquement, c’est le stress absent lors de l’entrainement et présent en compétition qui doit être contrebalancé par une autre source anxiogène. L’athlète doit vivre des situations où la dureté de l’entrainement est plus élevée que ce qui sera rencontré en match. Grâce à cette anticipation de la difficulté, le sportif va se conditionner pour accepter la douleur nécessaire à la progression. Accepter cette douleur est une chose étrange, surtout dans notre société où tout est construit pour un meilleur confort. Le quidam ne peut pas comprendre pourquoi il faut s’infliger des souffrances. Le champion, lui, le sait : aucun progrès ne peut être acquis sans peine.
En quoi consiste cette souffrance nécessaire
Pousser le corps dans ses retranchements, créer des efforts d’intensité élevée ou/et de temps prolongés, va engendrer des perturbations biologiques. L’affaiblissement des réserves énergétiques, l’accumulation de déchets toxiques et le bris de fibres musculaires sont douloureux mais indispensables pour déstabiliser l’organisme. Celui-ci n’entend pas pour autant se laisser flageller sans combattre. Des précautions biologiques, excessives et très éloignées du seuil « limite » sont mises en place, telles des barrières douillettes. Le rôle des charges d’entrainement répétées consiste à supprimer cette protection biologique faussée. Poursuivre un effort, alors que l’on se sent « au bout du rouleau », est possible grâce aux encouragements de l’entraineur, des partenaires ou des spectateurs. C’est la preuve que les limites du corps ne sont pas atteintes. L’entrainement quotidien, l’hygiène de vie et la qualité du staff technique permettent de repousser les frontières de la douleur. Il faut avoir à l’esprit que c’est ce travail qui paye, car la force mentale, atout certes indispensable à la performance, n’est pas suffisant. Quand il n’y a plus de jus dans la machine, qu’on le veuille ou non, on n’avance plus.
Douleur, douleur, dis moi qui tu es
C’est une sensation étrange et personnelle. Les retours d’informations sensorielles vers le centre de contrôle existent mais le sportif en tiendra compte ou non. C’est une opinion subjective et ponctuelle. L’athlète doit percevoir la pénibilité comme un passage déstabilisant, mais pas inadmissible pour aller au bout de lui-même. L’entrainement est là pour cela : modifier l’interprétation de la souffrance pour repousser ses limites.
Penser à s’entrainer et non à gagner
Tsun Zu dans l’Art de la guerre disait « [qu’] il faut que les soldats demandent le combat et les duels plutôt que la victoire. » On peut faire le parallèle avec l’état d’esprit que les athlètes doivent impérativement avoir à l’entrainement : ils doivent s’entrainer sans gérer, sans calculer, sans tricher. Certains - nommés « Game players » chez les anglo-saxons -, sous prétexte de fraicheur pour la rencontre à venir, sont économes de leurs efforts. Ils ne se font pas mal, ne poussent pas la machine dans ses retranchements. C’est une erreur. Ils tuent leur condition physique et amenuisent leur force psychologique. Les risques de blessures sont alors multipliés et deviennent source d’excuses pour les futures contre-performances.
L’entrainement, art de l’équilibre
Dans une planification complète de préparation, il ne faudrait pas imaginer faire toutes les séances à bloc. Savoir doser les alternances d’effort et de récupération est du ressort de l’entraineur. Gérer la douleur physique est aussi difficile que marcher sur le bord d’un précipice. L’éthique est à prendre en compte, qu’il s’agisse des risques de dopage ou du respect humain : la vue sur l’entrainement des jeunes gymnastes chinoises pose des limites aux doses de douleurs qu’on peut imposer à nos propres athlètes...
Il faut savoir pousser l’athlète dans ses retranchements, l’obliger à dépasser les limites qu’il croit avoir. Mais il faut garder raison : « Les vrais besoins n’ont jamais besoin d’excès. » comme l’a dit Jean-Jacques Rousseau.