Rencontre avec Victor Sebastiao, spécialiste de la préparation sportive, sur le thème de la préparation mentale
Christophe FRANCK - 2016-05-12
Victor Sebastiao, directeur technique national adjoint de la fédération française de Savate boxe Française, est conseiller à la préparation mentale des équipes de France depuis 2011. Il nous donne son point de vue sur des sujets relatifs au facteur psychologique dans la performance sportive : « Ce domaine peut-il être entrainé au même titre que les facteurs technico-tactiques et physiques ; quelle forme ce coaching doit-il prendre et par qui doit-il être mené : la préparation psychologique sportive doit-elle se limiter à l'amélioration de l'exploitation des ressources ou couvre-t-elle un domaine plus large, etc. »
Doit-on parler de préparation psychologique ou de préparation mentale dans le domaine sportif. Ya t’il une différence et si oui quelle est-elle ?
Victor Sebastiao : Dans la mesure où l’on considère que la préparation mentale ou psychologique de la performance sportive relève d’une approche pédagogique, alors oui, il s’agit de la même chose. Toutefois, je préfère utiliser l’appellation « préparation mentale » pour les pédagogues du sport comme moi et réserver l’appellation « préparation psychologique » aux psychologues et aux médecins. Dès lors que l’intervention du praticien a pour objet le traitement de pathologies induites par une activité extra-sportive ou même sportive, on entre dans le champ thérapeutique et cela ne concerne plus la préparation mentale ou psychologique mais relève davantage d’un suivi psychologique.
Penses-tu que la préparation psychologique/mentale est une affaire de spécialistes ou bien que ce rôle doit être rempli par l'entraineur ?
La préparation mentale ne peut être dissociée des autres facteurs de la performance (physique et technico-tactique). La préparation du sportif est un tout ! L’entraineur en est un des responsables avec le sportif dans la mesure où son rôle est de favoriser l’émergence de la performance. Pour autant, l’entraineur n’est pas un préparateur mental. En effet, bien souvent, il n’a ni la démarche adéquate, ni la formation spécifique. De plus, il est par nature très impliqué affectivement dans le projet sportif ce qui ne lui permet pas toujours d’avoir le recul nécessaire pour identifier et traiter objectivement une problématique mentale. Par ailleurs, la relation entre l’entraineur et l’entrainé est parfois au centre de la problématique du sportif.
En résumé, l’entraineur a une action certaine sur le développement du facteur mental de la performance. Mais son mode opératoire relève davantage du bon sens et de l’empirisme que d’une démarche consciente, organisée et mesurée. Parfois, cet état de fait le conduit en tant que « manager » à faire appel aux services d’un préparateur mental.
La préparation mentale c’est plutôt un travail de longue haleine ou la recherche d’un déclic ?
Si un déclic est une prise de conscience, alors la préparation mentale est un travail de longue haleine ponctué par une succession de déclics ! :-)
Dans l’idéal, la préparation mentale se fait en amont, dans l’anticipation. Elle doit être envisagée à l’égale de la préparation physique et technico-tactique , passant par une période de formation et beaucoup d’entraînement. Ma mission de conseiller à la préparation mentale des équipes de France de Savate boxe française me conduit bien souvent à agir dans l’urgence. Dans ce cas, avec le tireur ou la tireuse, nous faisons du mieux que nous pouvons. Et oui, ni magie, ni magicien et encore moins de baguette magique pour la préparation mentale !
Certains sportifs préparant une échéance importante semblent manquer de motivation. Comment comprendre cela ? est-ce vraiment un manque de motivation ou cela cache-t-il un autre problème ?
La motivation ou plutôt l’ENVIE c’est l’étincelle de la réussite, c’est la clé de voûte du système d’entrainement !Une échéance importante. Oui, mais pour qui ?
A l’origine du manque de motivation qui engendre une moindre implication dans le projet sportif, je retrouve presque à chaque fois le même scénario : la phase de détermination de l’OBJECTIF sportif, qui est l’outil de base du renforcement de l’envie, est occultée ou trop peu développée par le sportif et l’entraineur.
« Qu’est-ce que tu veux ? Ton objectif ne dépend-il que de toi ? En quoi cet objectif est-il important pour toi ? Quels freins pourrait-il y avoir ?, etc. »
Cultiver le plaisir de la pratique engendre la satisfaction et renforce l’envie. Les entraineurs, c’est à vous de jouer !
Quelles sont les compétences et formations nécessaires et obligatoires pour être préparateur mental : sportif, entraineur, psychologue ? Personnellement comment et quand es-tu devenu préparateur mental ?
Il y a des connaissances et des compétences nécessaires, parmi lesquelles on retrouve :
- Les données et les concepts fondamentaux de la psychologie du sport ;
- La maitrise d’outils d’évaluation et de diagnostique (tests, entretiens) ;
- La maitrise de techniques d’optimisation de la performance (respiration, relaxation, imagerie mentale, gestion des pensées, etc.) ;
- L’accompagnement du bien-être du sportif, etc.
Concernant les formations et qualifications (diplômes) obligatoires, pour être préparateur mental, la règlementation française n’en prévoit pas. Aussi, je recommande le Diplôme Universitaire Préparation mentale et psychologie du sportif de Lille 2.
Pour ma part, je suis devenu préparateur mental il y a environ 20 ans lorsque je me suis formé en sophrologie (master en sophrologie) et spécialisé en sophro-pédagogie sportive.
Que penses-tu de la relation entraineur-entrainé et de sa place dans le domaine psychologique. Certain(e)s athlètes de sports individuels ne veulent carrément pas disputer de rencontre sans la présence de leur entraineur. Doit-on le comprendre ou est-ce anormal ?
Il n’est pas du ressort du préparateur mental et toujours « dangereux » pour lui de s’insinuer dans la relation entre l’entrainé et l’entraineur. Il en va de même pour les relations intimes qui unissent l’athlète à sa famille. Néanmoins, la détermination du problème et de la demande du sportif concerne parfois directement ses relations avec son entraineur. Le principe à respecter est le suivant : la détermination et la mise en œuvre des objectifs conduisant à la fois à la réussite de son projet sportif et de son bien-être incombent au sportif ou à la sportive. Le préparateur mental éclaire et accompagne le choix de l'athlète objectivement et dans la mesure du possible il évite tout jugement de valeur.
Les seuls cas où je ne respecte pas ce principe c’est lorsque le comportement, ou l’emprise de l’entraineur, est tel qu’il occasionne une réelle souffrance pour l’entrainé pouvant s’apparenter à du harcèlement. Le cas échéant, je peux être amené à en informer les personnes ou services adéquates (médecin de l’équipe de France par exemple).
A ce moment de l’interview, il me semble opportun de cité Jean Fournier (INSEP, 1998) : « La préparation mentale est la préparation à la compétition par un apprentissage d’habilités mentales et d’habiletés cognitives, dont le but principal est d’optimiser la performance personnelle de l’athlète tout en promouvant le plaisir de la pratique et en favorisant l’atteinte de l’autonomie. »
Je considère l’entraineur comme « le maître d’œuvre » de la performance au service du sportif. Le sportif, lui, demeure l’architecte de sa propre performance et non pas un simple acteur, voir une marionnette. C’est lui qui choisit !
La préparation psychologique/mentale a-t-elle pour seul objectif l'amélioration des performances par la gestion des émotions ou doit-elle conduire à une autonomie de l’athlète dans son appréhension des échéances. Pour aller plus loin, ne devrait-on « entrainer » ce facteur chez les jeunes sportifs en formation par exemple, au même titre que la technico-tactique et les qualités physiques ?
La réponse à la question précédente comprend déjà plusieurs éléments qui concernent cette interrogation. La préparation mentale concerne tous les niveaux et toutes les catégories d’âge, du simple pratiquant loisir, au finaliste des Jeux olympiques. Aussi, chaque club n’étant pas doté d’un préparateur mental, l’apprentissage ou l’entrainement des habilités mentales de base (respiration, relaxation, imagerie mentale, gestion des pensées, gestion des émotions, etc.) sans chercher à répondre directement à une problématique compétitive spécifique incombe à l’entraineur. On parle alors d’éducation à la préparation mentale ou d’accompagnement mental à l’entrainement. On n’a pas attendu d’avoir des préparateurs physiques dans les clubs pour faire faire de la corde à sauter ou des pompes aux pratiquants !
Ces séances peuvent s’effectuer en dehors des séances de sport ou faire partie intégrante de la séance d’entrainement sportif. Leur durée varie de 10 à 30 minutes environ. Elles peuvent, aisément être animées par un entraineur sensibilisé à l’accompagnement mental ayant suivi un complément de formation de quelques jours : la fédération de Savate boxe française met en place une spécialisation fédérale « préparation mentale » destinée aux entraineurs, la formation « Sophrosport » de l’IFAS concerne presque toutes les disciplines sportives. Une séance par semaine durant la saison sportive suffit pour cet apprentissage ou cet entrainement mental général.
Peut on imaginer un entrainement adapté en fonction des qualités psychologiques/mentales de l’athlète, sur les plans techniques, tactiques et physiques et de la planification de l’entrainement ?
Comme la préparation physique et technico-tactique, la préparation mentale passe par une période d’évaluation des besoins, d’apprentissage des techniques, d’entraînement, et de mise en application. De plus, la préparation mentale est présente tout au long de la saison sportive, mais elle revêt des formes différentes et utilise des outils spécifiques en fonction des temps d’entrainement ou de compétition. Elle s’intègre aussi bien avant, pendant et après l’épreuve sportive. Elle devient singulière en s’adaptant au profil et aux besoins de chaque sportif.
Quelle est ta démarche lorsque tu prends un sportif en charge ? très méthodique ou « au feeling » en fonction de la personne et de la situation. Privilégies-tu une méthode ou une technique de préparation mentale ?
Ma démarche est toujours la même, elle est méthodique, scientifique. Ma manière de communiquer avec le sportif et la relation que je contribue à instaurer avec lui, elle, est singulière et guidée en partie par mon ressenti, mes émotions. Il en est de même pour l’organisation de l’entrainement mental que je propose au sportif.
Comment t’organises-tu pour ne pas empiéter sur les champs de responsabilités de l’entraineur. Es-tu « à coté » de ton sportif lors de ses compétitions pour le motiver et le soutenir, ainsi qu’analyser sa réussite ou son échec ?
La préparation mentale du sportif est souvent un travail d’équipe. Equipe constituée par le sportif lui-même qui doit adhérer à la démarche et s’investir, parfois de l’entraîneur qui pourra être à l’origine de l’intervention du préparateur mental (pour l’équipe comme pour un sportif) et parfois du médecin qui pourra être à la fois demandeur de l’intervention et une personne ressource lorsque la prise en charge du sportif relèvera davantage du champ thérapeutique que pédagogique.
L’autonomie du sportif est non seulement recherchée, mais aussi presque toujours imposée par les impératifs matériels (temps, finances). Il m’est arrivé d’intervenir pendant des tournois, notamment pour aider le sportif à gérer l’échec et à se remobiliser pour le combat suivant mais la technique utilisée était déjà maitrisée par le sportif. L’outil vidéo couplé avec les informations transmises par l’entrainé et l’entraineur permettent parfois des prises de conscience lors des séances de préparation mentale.
A chacun sa mission, ses responsabilités dans le projet sportif. La plupart du temps, en dehors de la savate boxe française, quand je m’occupe d’un sportif, je n’ai peu ou pas de connaissances techniques concernant sa discipline !
As-tu une préparation ou un accompagnement dont tu es particulièrement satisfait ?
Ces deux dernières années j’ai pu mettre en place des séances concernant le fonctionnement et la cohésion de groupe pour des sports individuels (équipe de France et pôle France de Savate boxe française). C’était à la fois nouveau et enrichissant pour tous. J’en profite pour remercier les sportifs, et toute l’équipe d’encadrant (entraineurs, médecin, kiné, etc.) pour la confiance qu’ils me témoignent.