Entraîner des filles, est-ce différent que d’entrainer des garçons ?
Christophe FRANCK - 2016-04-08
La compréhension psychologique des sujets sportifs et la communication avec eux constituent des aspects essentiels de la démarche de l'entraineur. Etant donné les différences physiques mais aussi psychologiques existantes entre les athlètes hommes et femmes, l'entraineur a-t-il intérêt à les gérer différemment.
Dans le monde sportif, il est rare de voir des entraineurs avoir des résultats identiques avec des filles et des garçons (on se place ici dans le cas de très bons résultats). Si cela peut arriver dans quelques sports individuels, c'est réellement exceptionnel dans les sports collectifs.
Est-ce une question de psychologie, de communication, de formation d'entraineurs, des choix financiers en rapport avec la plus grande médiatisation des sports masculins ?
Constat sur les différences entre les hommes et les femmes
Une physiologie différente
Les différences physiologiques entre garçons et filles touchent en priorité les caractéristiques anatomiques et les processus métaboliques. Sous l’influence des hormones sexuelles (progestérone, œstrogène et testostérone) il y a une multitude d’effets sur les plans métabolique, cardiovasculaire, respiratoire, thermorégulatoire, qui influencent la performance athlétique.
- La différence de VO2max : elle est due à la différence de masse grasse entre les hommes et les femmes adultes (proportionnellement plus élevée pour le sexe féminin) et du taux sanguin en hémoglobine plus faible chez la femme. La VO2max des femmes est inférieure à celles des hommes.
- La différence de masse musculaire : grâce aux effets de la testostérone, l’homme a une masse musculaire supérieure à la femme. Possédant plus de fibres rapides (type II), l’homme développe donc une force maximale et une force puissance supérieure. En contrepartie certains groupes musculaires (vaste latéral par exemple) renfermant chez la femme une plus grande proportion de fibres musculaires lentes (type 1) au fort potentiel oxydatif, leur permet de se fatiguer moins vite. De plus, pour un effort musculaire relatif (pourcentage identique de la force maximale), la femme utilise une quantité moindre de force absolue, ce qui entraîne une demande en oxygène et une compression vasculaire moins importante, facilitant ainsi l’irrigation sanguine.
- L'utilisation des substrats énergétiques : si les hommes ont une plus grande capacité glycolytique pour des efforts submaximaux (env. 70% VO2max), ils consomment plus de glycogène que de graisses et leurs réserves s’épuisent plus rapidement. Le métabolisme féminin, en disposant d’une quantité inférieure d’enzymes glycolytiques (éléments nécessaires à la dégradation du glucose) privilégiera l’oxydation des graisses, source inépuisable d’énergie.
Une éducation différente
Sans entrer dans une étude historique et sociologique, il est évident que des années d’éducation, où il y avait le « mâle » guerrier ou chasseur d’un côté et la « femelle » nourricière et protectrice de l’autre, laissent des traces dans le capital émotionnel de chacun. Encore aujourd’hui ce capital émotionnel « social » développé (sens de l’écoute, empathie, souci du service, etc.) pousse souvent les filles vers des activités à caractère social ou humain. A l’inverse, les garçons dotés d’un fort capital émotionnel « personnel » se dirigent plutôt vers des filières et des postes compétitifs et scientifiques. D’ailleurs, malgré l’évolution de l’éducation, les filles restent moins habituées socialement à être dans la compétition et sont souvent rebutées par la confrontation.
Un « langage » différent
Les chercheurs sont d’accord pour considérer que le cerveau gauche - plus dédié au langage et aux sentiments - est plus utilisé chez les femmes et le cerveau droit - spécialisé dans le raisonnement et le traitement des informations visuospaciales - chez les hommes.
Globalement, la femme est plus portée sur le partage verbal et la communication, alors que l’homme est centré sur l’action et la compétition.
Il en résulte des différences dans la compréhension hommes-femmes :
- Le discours masculin, direct et sans fioriture est perçu comme agressif par les femmes (étude Doreen Kimura – Canada). Pour un homme et son monde très hiérarchisé, il est normal de s’exprimer à l’impératif (impératif ne veut pas dire agressif si le ton est poli). Entre hommes çà marche, alors qu’une femme ne se sentira la plupart du temps pas respectée (en rapport avec des siècles de domination de l’homme sur la femme).
- Les femmes ont plutôt tendance à exprimer leurs demandes de façon indirecte, utilisant cinq fois plus le conditionnel que les hommes (Edith Slembeck – Suisse). En contrepartie, ces derniers perçoivent souvent cela comme de l’indécision.
L'influence de ces différences pour un entraineur
Hormis les différences de niveau d'expérience et d'expertise individuelle, le développement de la tactique, de la technique et des qualités physiques est identique pour les hommes ou les femmes. Dans la logique sportive il n’y a pas d’entrainements spécifiques « garçons » ou « filles ». Dans les sports d’équipe la constitution de collectifs par sexe est due le plus souvent à des raisons d’organisation. Beaucoup de sports individuels mélangent les athlètes des deux sexes sans influencer négativement les performances. Au contraire, cette mixité est même certainement favorable à la réussite de chacun, car les filles iront chercher une confiance chez les garçons, qui eux même s’investiront plus dans leur projet d’entrainement.
Par contre le message associé à cet entrainement doit être différent si l’entraineur s’adresse à des sportifs ou à des sportives. Sans cela il y a de gros risques de voir l’athlète féminine se désintéresser de l’entrainement ou d’assister à l’explosion du groupe.
La réussite avec les filles passe par une prise en compte de la psychologie féminine et la mise en place d’une communication spécifique.
Gagner ou maitriser
Pour un athlète masculin, le plus important c’est l’action, la confrontation, la compétition. Il faut un gagnant et un perdant, et il va se centrer uniquement sur le résultat. Pour une femme la victoire en elle même n’est pas la motivation principale dans la majorité des cas. C’est la manière qui importe, la maitrise de la tâche, car elle veut être « appréciée ».
Lionel Plumenail – Responsable du pôle espoirs Escrime – Entraineur national du fleuret féminin : « […] J’ai relevé que les filles acceptent difficilement la rivalité. Si bien qu’en match, elles recherchent plutôt à avoir la meilleure maitrise possible et non battre l’adversaire. » |
Personnellement, cela a une influence sur le feedback que je fais après une compétition. Si pour les athlètes des deux sexes je fais une analyse technique du combat un ou deux jours après celui-ci, le but étant de comparer ce qui était prévu et ce qui s’est réellement fait, je fais en plus, et presque à l’issue de la rencontre, un feedback motivationnel pour les filles. Celui-ci est destiné à analyser la manière d’avoir combattue, de s’être comportée pour faire gagner de la confiance à l’athlète. Il faut faire preuve d’empathie et de qualité d’écoute.
La discipline et l'autonomie dans le groupe
En général, les filles sont beaucoup disciplinées collectivement mais aussi individuellement que les garçons. En contrepartie elles veulent des entrainements plus bornés dans les consignes et prennent souvent moins d’initiatives lors des entrainements. Il faut aussi apporter plus d’informations pour étayer le choix des exercices.
Les sportives estiment en général leur propre valeur de façon réaliste et acceptent la supériorité dans le jeu d’une autre joueuse. Elles sont par contre très sensibles à la façon d’être perçue dans le groupe et à leur propre place dans celui-ci. Le leadership sera bien mieux accepté s’il est de type démocratique. C’est pourquoi l’entraineur doit être très vigilant à la dynamique du groupe et à l’équité dans celui-ci. Contrairement aux garçons qui ont beaucoup moins d’affectif pour le groupe, les filles le recherche ainsi que le partage émotionnel. Il faut faire attention au temps passé avec l’une ou l’autre, car la relation duelle à l’entraîneur étant privilégiée, cela pourra engendrer des risques d’explosions plus tard dans la saison.
Fabrice Courcier – Entraîneur des basketteuses de Saint-Amand et ancien entraineur de l’équipe masculine de Tourcoing et de Gravelines, extrait de l’article paru dans La Voix des Sports du 19/11/2007, Sport au féminin : Entraîner une équipe de filles : cauchemar ou sacerdoce ? « Elles se font mieux à l’idée qu’il puisse exister des joueuses plus fortes. C’est donc plus facile de faire accepter un rôle moins en lumière à l’une ou l’autre, alors que les garçons préfèrent tous être en première page des magazines ! Il faut que chacune puisse prendre du plaisir dans son rôle. Je veille donc à placer chaque fille sur le même pied d’égalité. Parce qu’une équipe féminine vit très mal le manque d’équité. C’est ce genre de petit détail qui peut vous faire partir sur une bonne saison ou une mauvaise. » |
La confiance
Chez les femmes, le niveau d’anxiété est souvent plus élevé que chez les hommes. Elles ont besoin d’être rassurées non seulement sur leur potentiel, mais surtout sur la confiance dont l’entraineur leur témoigne. Ce besoin de valorisation et de confiance en soi est un réel facteur de performance pour les athlètes féminines.
Fabrice Vettoretti – Responsable du pôle national BMX – Entraineur de l’équipe de France lors du sacre d’Anne-Caroline Chausson et Laëtitia Le Corguile (1 et 2 en BMX aux JO de Pékin) : « Aux JO, la n°1 mondiale a chuté 3 fois sur le parcours […] J’ai demandé a ce que personne ne parle de ces chutes devant Anne-Caroline et Laëtitia. Je ne l’ai pas évoqué moi-même. Le fait de leur parler de la chute de leur principale concurrente aurait pu être traduit par : Maintenant qu’elle est tombée, vous allez pouvoir prétendre à la victoire ! Un désastre sur le plan de la confiance en soi. Tu justifies que tu ne crois pas en elles, que pour gagner il faut que la n°1 se rate… » |
La confrontation
Une autre différence relevée régulièrement par les entraineurs entre filles et garçons est l’approche de la confrontation directe à l’entrainement et en compétition. Les filles n’aiment pas cette confrontation « one-to-one » où il faut faire preuve d’une réelle agressivité par rapport à l’autre pour gagner. Elles éprouvent le besoin de préserver leur capital confiance en évitant les situations, les exercices ou les concurrentes génèrent des confrontations directes. Cela pose des problèmes lorsqu’on arrive au Haut Niveau où les différences entre 1ère et 2e se jouent sur ces qualités de combattantes « sans pitié ». Le travail de l’entraineur et/ou du préparateur mental est de créer une saine agressivité permettant d’exprimer la plus grande envie de gagner.
En boxe pieds-poings on utilise souvent le « combat test » comme point de situation à l’approche d’une échéance. Ce combat souvent disputé contre des adversaires changeant à chaque reprise est destiné à recréer une situation de stress physique et psychologique s’approchant de la compétition réelle. On se doute que l’athlète sous test va être malmené. C’est donc un exercice que j’utilise très rarement avec les filles; elles risqueraient d’en sortir avec des doutes inhibiteurs pour les performances futures.
Une communication spécifique pour les féminines
On comprend qu’être entraineur de filles ou de garçons c’est bien le même métier : planifier, organiser et conduire l’entrainement pour amener l’athlète au top de ses possibilités au moment de la rencontre. Mais la communication doit être différente, spécifique.
Steeve Griveau – entraineur de l’US Véore (D2 féminine) : « Ce n’est pas plus difficile d’entrainer des filles mais différent. Les relations humaines, la communication individuelle est plus importante.[…] » |
La notion de contact est différente, le besoin de valorisation et de confiance en soi pour les filles est un facteur de performance. Le coach doit justifier et expliquer ses choix et modifier son discours d’avant compétition. Avec les filles il doit centrer celui-ci sur la confiance, avoir un comportement inspirant calme et sérénité, démontrant la confiance en elle(s). Il faut l’empathie et une grande qualité d’écoute... Mais attention cela peut être un exercice difficile où on peut se tromper et s’égarer en chemin(1).
Alors cette communication spécifique est-elle impérative pour réussir à mener les athlètes féminines à la victoire ? Je pense que oui, pour la grande majorité d'entre elles au moins. Evidemment cette communication est certainement moins utilisée dans les pays où le vivier de filles est très conséquent et où la réussite sportive rime avec réussite sociale. Néanmoins elle en resterait sans aucun doute efficace car n'oublions pas que l'individualisation est un vrai gage de performance.
(1) Attention à ne pas tomber dans une idée d’appropriation « Entraineur – entrainé(e) ». Le discours de l’un ou l’autre est souvent gorgé d’adjectifs possessifs : « mon athlète, mes filles, mon équipe, mon entraineur, etc. » Si les résultats sont bons, cette possession symbolique est renforcée. L’entraineur se voit alors attribué les performances de l’athlète, se projette même parfois à la place de celui-ci. En retour l’athlète idéalise l’image de son entraineur au-delà de sa compétence technique…